Lomé 2025 : “Les règles du jeu doivent changer”
Entretien avec Jason Rosario Braganza (AFRODAD)
La première Conférence de l’Union africaine sur la dette publique s’est tenue du 12 au 15 mai à Lomé, au Togo. Une initiative inédite, à l’heure où la moitié des pays africains sont en situation de surendettement ou proches de l’être.
Responsables politiques, institutions panafricaines, experts et membres de la société civile y ont confronté leurs diagnostics et propositions.
Au cœur des discussions : la nécessité de réformer en profondeur les règles actuelles de la finance mondiale et de bâtir une approche africaine de la dette, plus juste, plus durable.
Parmi les voix fortes de ce sommet, celle de Jason Rosario Braganza, directeur exécutif d’AFRODAD, acteur de référence sur les questions de justice fiscale et de dette. Il revient ici sur les grandes conclusions des travaux de Lomé et trace la voie à suivre.
Q : Quelle lecture faites-vous des conclusions de cette conférence inédite sur la dette publique africaine ?
Jason Braganza : C’est un moment fondateur.
Pour la première fois, l’Afrique réunit ses décideurs autour d’une seule table pour discuter de sa propre dette avec une ambition politique claire. Ce que nous avons vu à Lomé, c’est un consensus émergent : celui de rompre avec les logiques d’endettement aveugle et d’asseoir une gouvernance continentale de la dette, ancrée dans nos réalités économiques et nos priorités de développement.
C’est aussi la première étape vers une voix africaine unie en matière de négociation internationale, notamment pour réformer en profondeur le Cadre Commun du G20, qui ne fonctionne tout simplement pas pour nos pays.
Q : Au-delà de la déclaration finale, qu’est-ce qui ressort de manière forte des débats ?
Jason Braganza : Trois choses, selon moi.
D’abord, l’urgence d’un cadre panafricain pour restructurer et prévenir les crises de dette, en renforçant les outils déjà en cours comme le Mécanisme africain de stabilité financière. Ensuite, l’appel à diversifier les sources de financement, avec des instruments plus innovants et moins risqués que l’emprunt classique. Et enfin, la volonté politique d’aller vers une évaluation plus juste du risque africain, avec la création d’une agence continentale de notation.
Ces décisions n’étaient pas évidentes, elles sont le fruit de débats francs et parfois vifs, mais c’est ce qui fait leur valeur.
Q : L’Afrique est-elle en train de reprendre la main sur son avenir financier ?
Jason Braganza : Clairement, oui.
Il ne s’agit pas de refuser toute forme d’endettement, mais de sortir du piège de la dépendance. À Lomé, il a été question de responsabilité, mais aussi de souveraineté. L’Afrique veut décider de ses propres priorités de financement, au service d’une croissance inclusive.
Nous avons entendu des ministres, des économistes, des activistes, et tous ont dit la même chose : les règles actuelles du jeu ne fonctionnent pas. Il est temps d’en changer.
Et pour cela, il nous faut une position cohérente, coordonnée, que nous pourrons porter ensemble à Washington, à Paris, au G20, partout où les décisions se prennent.
Q : Quel rôle pour les partenaires internationaux dans cette nouvelle dynamique ?
Jason Braganza : Les partenaires doivent écouter et accompagner, pas imposer.
À Lomé, le FMI, la Banque mondiale, les agences multilatérales ont été interpellés. On leur a rappelé que la dernière allocation des droits de tirage spéciaux (DTS) a laissé l’Afrique avec à peine 5 % du total. Ce n’est pas acceptable.
Les institutions internationales doivent intégrer la réalité de nos besoins et cesser d’appliquer des modèles de solvabilité dépassés.
La voix africaine a été forte à Lomé. Elle doit maintenant peser à Washington, à Paris, à Londres.
Q : Et maintenant, que faire de tout cela ?
Jason Braganza : C’est le vrai défi.
La conférence ne doit pas rester un bel événement diplomatique.
Nous devons institutionnaliser ces discussions, inscrire ce cadre dans l’agenda permanent de l’Union africaine, pousser chaque État à adopter des pratiques responsables, et surtout faire vivre les instruments que nous avons évoqués.
AFRODAD continuera à jouer son rôle de sentinelle, de catalyseur et de partenaire technique.
L’histoire ne s’écrit pas en un sommet, mais ce sommet peut en être le tournant.
José Baituambo