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Confiscation démocratique : quand le FMI réécrit les règles du jeu en Afrique dans le silence des peuples

Les peuples africains peuvent voter. Mais quand il s’agit de définir leur politique économique, les décisions sont souvent prises à Washington ou à Bruxelles.

C’est l’un des constats les plus graves formulés par la Commission d’enquête des peuples africains sur l’endettement et les politiques du FMI et de la Banque mondiale, organisée à Lilongwe (Malawi) du 17 au 19 juin 2025. Cette initiative, portée par AFRODAD (African Forum and Network on Debt and Development), a rassemblé des économistes, des juristes, des parlementaires, des représentants de la société civile et des témoins de plus de quinze pays africains pour exposer les conséquences des politiques économiques imposées au continent.

Pendant trois jours, dans une démarche de justice populaire, la Commission a entendu des récits bouleversants, mais aussi des analyses précises sur la manière dont le FMI et la Banque mondiale ont, au fil des décennies, affaibli les systèmes démocratiques africains.

Selon la Commission, l’un des effets les plus corrosifs du partenariat entre les institutions de Bretton Woods et les États africains est l’effacement progressif du contrôle démocratique sur les politiques publiques. En clair, les parlements sont contournés, les citoyens exclus, et les choix économiques sont dictés depuis l’extérieur.

« Nous sommes gouvernés par des technocrates étrangers. Nos lois sont réécrites sous pression, nos peuples mis devant le fait accompli », a témoigné un représentant de la société civile du Nigeria.

Les politiques exigées par les bailleurs sont souvent :
• Décidées dans le secret, entre hauts fonctionnaires africains et experts du FMI ;
• Conditionnées à l’octroi de financements, ce qui laisse peu de marge de manœuvre aux gouvernements ;
• Imposées sans débat parlementaire, ni consultation des organisations syndicales ou des citoyens.

La Commission a documenté plusieurs situations dans lesquelles les droits démocratiques ont été écartés au profit d’une logique purement financière :
• En Tunisie, la suppression progressive des subventions sur les produits de base, exigée par le FMI, a été adoptée sans passage au Parlement, déclenchant des vagues de protestation.
• En Ghana, des réformes fiscales majeures ont été intégrées au programme économique négocié avec le FMI, sans consultation des syndicats ou de la société civile.
• En Sierra Leone, la privatisation d’hôpitaux publics s’est faite dans le cadre d’un plan d’ajustement imposé, sans étude d’impact ni débat national.

Partout, la même mécanique : des décisions prises sans les peuples, pour satisfaire des créanciers étrangers, au détriment de l’intérêt public.

Ces pratiques contreviennent à plusieurs textes nationaux et internationaux garantissant la participation des citoyens aux décisions publiques :
• L’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui protège le droit de participer aux affaires publiques ;
• La Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance, qui exige transparence, consultation et inclusion ;
• Les constitutions nationales, dans lesquelles l’endettement de l’État est encadré, soumis à contrôle parlementaire.

« En court-circuitant les institutions représentatives africaines, ces politiques sapent les fondations mêmes de la démocratie », a rappelé l’un des juristes membres de la Commission.

Face à ce constat, la Commission appelle à reconstruire la démocratie économique sur le continent. Parmi les propositions formulées :

✅ Rendre obligatoire l’approbation parlementaire de tout contrat de dette ou programme d’ajustement ;
✅ Renforcer les mécanismes de participation citoyenne dans l’élaboration des politiques fiscales, budgétaires et sociales ;
✅ Créer une agence africaine de notation, pour éviter les biais systématiques des agences occidentales ;
✅ Auditer publiquement toutes les dettes contractées en dehors du contrôle démocratique, en vue de leur annulation ou renégociation.

Cette Commission, bien que non officielle, a rempli une mission essentielle : donner la parole à celles et ceux qu’on n’écoute jamais. Elle a montré que la démocratie ne s’arrête pas aux élections — elle s’exerce aussi dans le droit de décider des orientations économiques, de débattre des priorités budgétaires, et de dire non à l’inacceptable.

« La dette est un impôt sur l’avenir. Chaque prêt signé en silence est une trahison envers les générations futures. », Extrait du rapport final

Ce que réclame la Commission, ce n’est pas un simple ajustement. C’est une refondation. Une reprise de contrôle. Une démocratie qui ne se laisse plus dicter ses choix économiques depuis l’étranger.

José Baituambo

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