Flux financiers illicites : à Johannesburg, l’Afrique passe à la contre-attaque
La 13e Conférence panafricaine sur la fiscalité a transformé les constats en plans d’action, avec une feuille de route précise pour les dix prochaines années.
JOHANNESBOURG, L’atmosphère était moins aux discours d’ouverture qu’à l’action concrète. Dans les couloirs du centre de conférence de Sandton, troisième jour de la 13ᵉ Conférence panafricaine sur les flux financiers illicites et la fiscalité, l’énergie palpable traduisait un tournant décisif.
Experts fiscaux, militants aguerris, hauts fonctionnaires et chercheurs ont délaissé le constat pour se concentrer sur les remèdes, disséquant avec une précision chirurgicale les mécanismes qui privent le continent de milliards de dollars chaque année.
Sous l’égide du Réseau pour la Justice Fiscale Afrique (TJNA), architecte de cet événement majeur, les sessions parallèles ont fonctionné comme des ateliers stratégiques. Une question urgente reliait tous ces débats : face à un système financier mondial sophistiqué, comment l’Afrique peut-elle reprendre le contrôle de ses richesses et financer son propre développement ?
La matinée a commencé fort avec une session co-organisée par Oxfam, Policy Forum et l’International Budget Partnership, se penchant sur le lien crucial entre la transparence financière, la fiscalité des hauts revenus et les flux illicites. Loin des généralités, les discussions ont ciblé des failles bien précises : les régimes fiscaux favorables aux multinationales, l’évasion fiscale des grandes fortunes via des actifs offshore, et l’incapacité de nombreuses administrations à traquer ces capitaux.
« Nous avons assez de données. Le problème n’est plus le “quoi”, mais le “comment”. Comment forcer une vraie déclaration des bénéficiaires effectifs ? Comment rendre l’échange d’informations entre pays réellement effectif ? », a interrogé un panéliste. L’objectif est désormais de passer de la théorie à des réformes structurelles et audacieuses, soutenues par des institutions renforcées, capables de « suivre la trace de l’argent, quel que soit le chemin, aussi opaque soit-il, qu’il emprunte. »

Dans une autre salle, l’ambiance était à la dénonciation. Le Forum africain et réseau sur la dette et le développement (AFRODAD), en collaboration avec le Center for Economic and Social Rights, a mis à nu le cercle vicieux liant la dette opaque, les flux illicites et l’impossible financement de l’action climatique. Leur cible : les prêts garantis par les ressources naturelles (RBL), des contrats où un pays emprunte en mettant en gage ses futures recettes pétrolières ou minières.
« La particularité de ces prêts, c’est qu’ils sont conçus dans l’ombre. Ils contournent délibérément les procédures budgétaires nationales et les débats parlementaires, ce qui en fait des instruments parfaits pour détourner des fonds publics », a expliqué Afshin Nazir d’AFRODAD. Il a détaillé comment cette opacité alimente un « extractivisme financier » : les créanciers s’enrichissent grâce aux ressources africaines, tandis que les pays s’enfoncent dans une dette qui les empêche de investir dans une transition énergétique juste et adaptée.
Une session plus technique, animée par l’ATAF (Forum africain de l’administration fiscale) et l’Institut de recherche économique des Nations Unies (UNU-WIDER), a tackle un paradoxe frustrant : dix ans après le rapport fondateur de Thabo Mbeki, pourquoi le fossé entre la connaissance des solutions et leur mise en œuvre reste-t-il si important ?
Les intervenants ont partagé des études de cas montrant comment des recherches pointues sur, par exemple, l’optimisation fiscale des multinationales dans le secteur minier, peinent à se traduire en lois ou en capacités de contrôle pour les administrations locales. « Nous avons une montagne de preuves. Maintenant, nous devons construire le pont qui mène de cette montagne au bureau du législateur et à la salle de contrôle du percepteur d’impôts. Sans politiques fondées sur des preuves tangibles, la lutte contre les flux illicites restera une bataille inachevée », a insisté une chercheuse.

La synthèse de ces débats est venue d’Emmanuel Eze, conseiller politique principal de l’ATAF auprès de l’Union africaine. D’une voix ferme, il a résumé l’enjeu fondamental : « Il ne s’agit pas seulement de réformer des règles techniques. Il s’agit de rééquilibrer la voix et le pouvoir. L’Afrique doit cesser de être un spectateur dans l’arène fiscale mondiale. Elle doit mobiliser ses propres ressources pour non seulement financer son développement, mais pour en définir les priorités et en façonner l’avenir. »
Au fil des échanges, une conviction s’est cristallisée, dépassant largement les considérations techniques : la bataille contre les flux financiers illicites est le combat pour la souveraineté économique, la justice intergénérationnelle et la dignité politique du continent. Portées par des organisations comme la TJNA qui fédèrent les énergies, les voix africaines affûtent leurs arguments et consolident leurs alliances. L’objectif est clair : tourner résolument la page de la dépendance financière et écrire, main dans la main, le chapitre de l’autonomie.
José Baituambo