À Johannesburg, Thabo Mbeki ravive le combat pour l’indépendance financière de l’Afrique
Dans une salle comble où se mêlaient hauts fonctionnaires, experts fiscaux, chercheurs, activistes et représentants d’organisations régionales, Thabo Mbeki a repris la parole, dix ans après avoir levé le voile sur l’un des plus grands fléaux économiques du continent. L’ancien président sud-africain, figure tutélaire de la lutte contre les flux financiers illicites, a lancé un avertissement sans détour : « L’Afrique ne peut pas se permettre une autre décennie de subordination dans le système financier mondial. »
C’était au deuxième jour de la 13ᵉ Conférence panafricaine sur les flux financiers illicites et la fiscalité (PAC 2025), organisée par la Tax Justice Network Africa (TJNA). Son retour à la tribune, pour cette séance d’ouverture officielle, a revêtu une portée symbolique forte, semblable à un passage de témoin entre générations.
Président du Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique, Mbeki a dressé le bilan de dix années de lutte depuis le rapport fondateur de 2015. « Le Groupe de haut niveau a cherché à rendre visible ce qui était caché depuis trop longtemps », a-t-il rappelé. « Les flux financiers illicites ne sont pas des abstractions : ils drainent directement la capacité de l’Afrique à financer ses écoles, ses hôpitaux et son développement. »
Dix ans après ce rapport historique, le vocabulaire de la justice fiscale s’est installé dans les arènes politiques et des réformes techniques ont vu le jour. Mais malgré les registres de propriété effective et les échanges automatiques d’informations, « nous n’avons pas encore réussi à stopper les sorties », a reconnu l’ancien leader, devant un auditoire suspendu à ses mots.
L’ancien président a insisté sur la dimension éminemment politique de ce combat. « La gouvernance fiscale mondiale reste profondément inégale, façonnée par le pouvoir plutôt que par l’équité », a-t-il asséné. Cette lutte, a-t-il poursuivi, engage la souveraineté et l’autodétermination du continent : s’agit-il de laisser la richesse de l’Afrique continuer à enrichir les autres, ou de mobiliser enfin ces ressources pour son propre développement ?
Son message a trouvé un écho particulier dans un contexte continental tendu. En 2023, les pays d’Afrique subsaharienne ont dépensé davantage en intérêts de la dette qu’en éducation, et près de la moitié consacrent plus à leur dette qu’à la santé. Une double asphyxie, dette et flux illicites, qui étouffe les perspectives de croissance.
Parmi les visages attentifs dans la salle, celui de Chenai Mukumba, directrice exécutive de la Tax Justice Network Africa, incarnait la continuité de ce combat. Sous sa direction, la TJNA s’est imposée comme la voix la plus constante et la plus stratégique du continent en matière de justice fiscale. « Ce combat ne concerne pas seulement les experts », a-t-elle confié en marge de la conférence. « Il touche au cœur même de la souveraineté africaine. »
Thabo Mbeki a rappelé les trois priorités pour la décennie à venir : renforcer les capacités fiscales nationales, concevoir des systèmes fiscaux qui soutiennent l’industrialisation, et préserver l’unité politique du continent. Il a salué à ce titre le rôle décisif du Groupe africain à l’ONU, dont l’action a conduit à la résolution historique de 2022 lançant les négociations pour une Convention-cadre des Nations unies sur la coopération fiscale internationale, une brèche ouverte dans le monopole des pays riches.
Son discours s’est conclu sur une note d’optimisme lucide, résumant l’enjeu d’une décennie : « Il y a dix ans, nous disions que l’Afrique ne pouvait plus perdre un seul dollar. Aujourd’hui, nous disons qu’elle ne peut plus perdre une décennie. »
L’ovation qui a suivi a confirmé que le message était passé. La prochaine étape, pour tous les acteurs présents, sera de transformer cette prise de conscience en actions coordonnées pour briser le cycle de la dépendance financière.
José Baituambo